II - LE CHÂTEAU DE CHANDOR

II

LE CHÂTEAU DE CHANDOR


– Très illustres personnes, reprit M. le baron d’Altenheimer, il y avait, en 1821, sur les bords de la Theiss, non loin du village de Szeggedin, qui a sept lieues de tour et quatre-vingt mille habitants, une famille magyare habitant le grand vieux château de Chandor. Tous les magyars sont nobles, mais ceux-ci étaient princes de la maison de Baszin, dont l’auteur fut l’ami du roi Mathias Corvinus, le Charlemagne des contrées danubiennes. Chrétien Baszin, prince Jacobyi, possédait une immense fortune, comme il s’en rencontre beaucoup dans ces pays, il avait des milliers de paysans slaves, serbes, tzèques, croates, valaques, et raidzes. Son domaine était grand comme une province et s’étendait jusqu’à cette île de vignobles, entourée par une mer de maïs, où Tur récolte l’ambre liquide de ses royales vendanges.
 
« Le château de Chandor, situé au-devant d’une forêt de chênes, mirait dans la Theiss ses murailles massives et basses, flanquées de quatre tours larges, trapues et coiffées de turbans comme les Turcs qui jadis les avaient construites. Du haut des tours, on pouvait voir, par-dessus les moissons immenses, les minarets de Szeggedin. Les pâturages nourrissaient huit cents chevaux et le double de grand bétail : ces nobles bœufs de Hongrie, à la robe gris de perle, aux cornes blanches, largement évasées. Le prince était généreux et même magnifique : cinquante couverts entouraient toujours l’énorme table carrée qu’on dressait à ciel ouvert, chaque jour, sous un dais de fil d’argent, dans la cour pavée de bois de cèdre, quand le canon de son méridien annonçait l’heure de midi.
 
« Vous êtes, messeigneurs et mesdames, les heureux enfants du pays le plus civilisé du globe, mais vous ne vous faites peut-être pas une idée juste des splendeurs de la vie noble dans certaines autres contrées que vous appelez sauvages. Nous n’avions pas là, – car j’ai été pendant des années le commensal du prince Jacobyi à son château de Chandor, – nous n’avions pas toutes les délicatesses, nettes, blanches et mignonnes de votre service français ; nous manquions peut-être des jolis raffinements de votre luxe portatif, si je puis ainsi dire, et qu’on pourrait caser dans sa valise en faisant un tour d’Europe, mais c’était le grand luxe, la grande vie, l’or répandu à flots, et toutes les fières jouissances de la richesse suzeraine. C’est pour ceux-là, vous ne pouvez pas l’ignorer, les derniers hauts barons, qu’on exprime avec soin le suc le plus pur de vos raisins bordelais ; c’est pour eux qu’on emprisonne l’esprit le plus pétillant de vos vignes champenoises. Les Indiens d’Amérique, dit-on, vendent leur or pour un peu d’eau-de-vie, vous vendez vos nectars pour un peu d’or, et c’est à peine si quelque goutte égarée de ces ambroisies étonne, à de longs intervalles, un gosier français. Pour goûter vos vins, il vous faut aller en Russie ou de l’autre côté du Danube où l’on vous invite à les boire.
 
« Chevet nous envoyait là-bas ses primeurs et ses conserves, Félix ses pâtisseries ; nous avions tout ce que vous avez ; nous avions de plus ce que vous n’avez pas, les fleurs de l’Orient cristallisées autour de nobles gibiers des Baconers et votre Cliquot moussait dans la pulpe creusée de nos pastèques.
 
« Jusqu’ici, je ne vois rien de bien sombre dans mon récit ; mais le ciel est bleu sur nos têtes et la lune brille. L’orage est là, cependant, qui bientôt va gronder.
 
« Le prince Jacobyi ne savait pas le compte de sa fortune. Ses intendants lui apportaient, chaque mois, leurs états qu’il entassait, sans les lire, dans sa bibliothèque. Vaste comme elle était, sa bibliothèque s’encombrait peu à peu, cachant déjà ses mosaïques sous des monceaux de feuilles volantes. Chaque mois, il signait, sans le lire, un pouvoir qu’on adressait à son banquier de Pesth, afin qu’il fût possible de se procurer de l’argent sur hypothèque.
 
« – Ils auront beau me piller, tous tant qu’ils sont, disait-il, je les défie bien de voir jamais la fin de mon patrimoine !
 
« Et quand il regardait Lénor, sa fille, un ange aux traits suaves, encadrés de cheveux d’or, il ajoutait :
 
« – Je les défie bien d’empêcher celle-ci d’être la plus riche héritière à cent lieues à la ronde !
 
« Il disait cela et jamais homme ne fut plus vrai dans son dire ; mais il avait deux intendants à la maison et un banquier dans la ville de Pesth. Le proverbe dit qu’un seul intendant suffit à dévorer un domaine. Et il ne parle pas du banquier.
 
« Lénor avait quatorze ans. On voyait bien déjà qu’elle aurait la beauté de sa mère, dont le portrait était le sourire de la maison. Elle ne vivait encore que pour apprendre. Dans ces sauvages pays, figurez-vous, on mène très loin et l’on monte très haut l’éducation des jeunes filles. Lénor possédait au monde une seule amie : une fillette de son âge, magyare aussi et noble, mais pauvre, qu’on avait élevé avec elle. Vers ce temps-là, elle eut la première tristesse de sa vie. Efflam, sa compagne la quitta pour aller voir son père et sa mère qui demeuraient à la frontière, non loin de Belgrade…
 
« Or, il vint un soir au château de Chandor deux Rômi de Valachie, appartenant à une tribu errante, campée dans le Temeswar, de l’autre côté de la Theiss. Ils avaient traversé à la nage la rivière, qui est rapide comme le Rhône et trois fois plus large que la Seine. Ce n’est qu’une tributaire pourtant du Danube-Roi.
 
« La nuit ressemblait à celle-ci, puissantes dames, et je me souviens que la lune, glissant sous des nuages noirs, si épais qu’elle n’en pouvait argenter les franges, paraissait et disparaissait, montrant au loin tantôt le tortueux miroir de la Theiss, et tantôt plongeant ses eaux vineuses dans la profonde obscurité.
 
« L’orage menaçait au sud-est, le point d’où viennent les grands orages. Les deux maudits demandèrent l’hospitalité. Lénor était triste depuis le départ d’Efflam ; le prince de qui Lénor était le cœur, lui dit :
 
« – Ces gens savent jongler et faire des tours de passe-passe : veux-tu qu’ils viennent te divertir ?
 
« Lénor secoua sa tête languissante en signe de refus. Mais un valet ayant dit que leur tribu arrivait de Belgrade, les yeux de Lénor brillèrent.
 
« – Qu’ils soient introduits, » ordonna-t-elle.
 
« C’étaient deux frères : l’aîné jeune encore, le cadet tout jeune. Ils se donnèrent les noms de Mikaël et de Solim. Mikaël était de grande taille et portait sur ses traits quelques signes de son origine rôme ou tzigane, comme vous voudrez nommer ces enfants perdus d’une civilisation oubliée, qui étrangers parmi toutes les nations du globe, n’ont ni loi ni Dieu : les Égyptiens d’Écosse, les Bohémiens de France, les Gitanos d’Espagne, les Zingari d’Italie. Solim, au contraire, avait une face pâle et claire, des yeux bleus et des cheveux blonds. Le prince leur commanda de divertir Lénor. Solim chanta les étranges mélodies des campagnes moldaves, en s’accompagnant sur sa guitare ronde à deux cordes de fer ; Mikaël dansa le pas du yatagan, et tous les deux jonglèrent avec les verres de la table, les flacons et leurs poignards.
 
« Lénor bâillait ; le prince leur fit signe de s’éloigner.
 
« – Hospodar, demanda Mikaël au lieu d’obéir, ta fille ne veut-elle point qu’on lui dise sa bonne aventure ?
 
« Ses yeux hardis étaient fixés sur Lénor qui avait rougi et semblait mal à l’aise. Les sourcils du prince se froncèrent, et il ouvrait la bouche pour appeler ses valets, lorsque la douce voix de Lénor le prévint.
 
« – Père, lui dit-elle, je voudrais savoir…
 
« Mikaël fit aussitôt un pas vers la jeune fille, jeta sa toque à terre et s’agenouilla dessus, tandis que Solim restait debout au milieu de la chambre, les bras croisés sur sa poitrine et les regards baissés. Mikaël, d’un geste, appela la main de Lénor qui la donna comme malgré elle. Il l’examina longuement et minutieusement, prononçant par intervalles de brèves paroles en une langue inconnue. Ces paroles étaient adressées à Solim, toujours immobile au milieu de la salle ; ces paroles semblaient produire sur Solim une impression extraordinaire. Tous ses membres tremblaient ; les veines de son front se gonflaient et ses cheveux s’agitaient autour de ses tempes. C’était la pythonisse antique sur son trépied. S’il y avait comédie, on peut affirmer qu’elle était bien arrangée.
 
« C’était Mikaël qui avait examiné la main ; ce fut Solim qui rendit l’oracle, disant :
 
« – Hospodar ! malheur sur moi qui vais parler de malheur ! Je vois de loin, au travers de la nuit, le vampire Angel qui a les yeux sur ta fille… »
 
« Le prince éclata de rire pendant que Lénor pâlissait.
 
« – Il y a donc encore des vampires ? s’écria le prince, dont la gaieté continuait, ils doivent être bien vieux !
 
« Mikaël revint auprès de son frère et lui mit la main sur la bouche comme pour la lui fermer d’autorité. La figure de Jacobyi s’assombrit et, frappant du poing la table, il dit :
 
« – À mon tour, je veux savoir !… Et souvenez-vous que le juge de Szeggedin ne se dérangerait même pas pour une couple de mécréants pendus aux arbres de mon parc ! Vous voilà avertis !
 
« – Seigneur, répliqua lentement Mikaël, c’est toi qui es averti ; tu as assez de serviteurs pour veiller sur ta fille et tu nous dois une récompense parce que nous t’avons mis en garde.
 
« – Qu’est-ce que c’est que le vampire Angel ? interrogea Lénor toute tremblante.
 
« Le blond Solim répondit en essuyant son front baigné de sueur :
 
« – C’est le plus jeune des frères Ténèbre.
 
« – Et qu’est-ce que c’est que les frères Ténèbre, coquin ? s’écria le prince sérieusement irrité.
 
« – Tu as le droit de m’outrager, seigneur, répliqua le grand Mikaël avec son calme imperturbable ; tu es fort et je suis faible. Tu as le droit de me chasser aussi sous la tempête qui gronde et de me faire battre par tes slovaques : mais je ne peux te dire autre chose que la vérité : les frères Ténèbre sont deux morts.
 
« Lénor se réfugia tout près de son père, pendant que Solim répétait comme un écho :
 
« – Deux morts !
 
« Le prince prit sa fille entre ses bras et dit à l’aîné des deux Rômi :
 
« – Explique-toi.
 
« – Hospodar, commença aussitôt Mikaël, ceux-là sont-ils morts et bien morts qui ont été balancés par le vent, durant trois nuits et trois jours à la potence ? Nous errons sans cesse, vous le savez, à la poursuite du pain qui jamais n’assouvit notre faim maudite. En allant d’Itèbe à Semlin, on trouve le gibet du magnat Karolyi, lieutenant du ban de Temeswar ; nous passâmes près de là le 27 octobre de l’an dernier, trois jours avant votre fête chrétienne de tous les saints. Il y avait au gibet deux hommes pendus : un grand, et un petit. Nous les dépouillâmes pour ne rien perdre, et nous suivîmes notre route. Le 1er novembre, comme nous revenions vers Itèbe, pour gagner Belgrade, nous retrouvâmes les deux suppliciés, tout nus, cette fois, et entourés d’une nuée de corbeaux. Nous campâmes dans la plaine, entre la potence et le Danube.
 
« À minuit, nous fûmes réveillés par les cris des corbeaux qui poussaient des croassements plaintifs. La lune n’était pas au ciel, mais il y avait une autre lumière, plus vive que le plus brillant clair de lune. D’où venait-elle ?
 
« À cette lueur, nous vîmes le grand nuage des corbeaux qui fuyaient. Nous vîmes aussi la potence, découpée en noir sur l’aurore boréale, avec les deux corps qui allaient se balançant lentement. Tout près de nous, deux chevaux blancs passèrent, sans bride ni selle et la crinière au vent ; ils glissaient comme deux flèches, mais nous n’entendions point le bruit de leurs pas.
 
« Ils s’arrêtèrent tous deux sous le gibet, l’un sous le grand pendu, l’autre sous le petit. Nous vîmes les quatre jambes des suppliciés remuer, puis s’écarter l’une de l’autre ; un éclair déchira les froides nuées de novembre, comme si c’eût été l’orage d’un ciel d’août ; les deux cordes du gibet se rompirent à la fois et les deux cadavres tombèrent en même temps, jambe de ci, jambe de là, sur les deux chevaux qui reprirent leur course dans un coup de tonnerre…
 
« – Voici ma pauvre belle Lénor qui frémit la fièvre, dit le prince ; allez en enfer, avec vos contes à dormir debout, effrontés mauvais plaisants !
 
« Solim étendit le bras en murmurant :
 
« – Mon frère Mikaël a dit la vérité, je le jure !
 
« Et Lénor, dont les jolies dents blanches se choquaient, dit avec effort :
 
« – Ils me divertissent, mon père, laissez-les poursuivre, je vous en prie !
 
« – À Itèbe, poursuivit Mikaël, nous demandâmes les noms des deux suppliciés : les frères Ténèbre ! nous fut-il répondu : Ténèbre le bandit, Ténèbre le vampire… Or, il y a au milieu des plaines du Grand-Waraden deux tombeaux que tous peuvent voir : un grand et un petit ; chacun d’eux recouvert d’une pierre noire, chacun d’eux portant une inscription en vieille langue française. Sur le grand, il y a : Jean Ténèbre, chevalier, sur le petit : Ange Ténèbre… leur. Le mot n’est pas entier. Est-ce recteur, est-ce pasteur, est-ce docteur ? Je ne sais et peu m’importe… Les savants disent que ce sont les tombes de deux nobles Français qui vinrent avec bien d’autres au secours du woïvode Jean Hunyade, défendant les chrétiens contre les Turcs il y a de cela quatre cents ans. Les gens qui ne sont pas savants affirment que, depuis quatre siècles, il y a sous ces marbres un eupire et un vampire, un mangeur de chair humaine et un buveur de sang humain.
 
« Hospodar ! il est une chose certaine. Bien des fois depuis quatre cents ans, on a ouvert ces deux tombes, la terreur et l’horreur de la contrée. Tantôt on a trouvé sous les pierres deux corps, un grand et un petit, qui gardaient tous les signes d’une mort récente : les yeux ouverts et brillants, du sang liquide dans les veines, la langue humide, les lèvres rouges ; tantôt les sépulcres ouverts n’ont montré que le vide : deux cavités noires d’où s’exhalaient des miasmes mortels.
 
« Il est certain, de plus, qu’on a essayé de détruire ces tombeaux ; les marbres ont été brisés, les moellons dispersés, le terrain nivelé, – et toujours, les deux pierres noires ont reparu intactes avec leurs inscriptions funéraires.
 
« Il est enfin certain, les registres des tribunaux en font foi, que depuis vingt ans seulement, les frères Ténèbre ont été pendus l’un et l’autre dans douze comitats de la Hongrie et sept fois empalés sur le territoire turc.
 
« Mais les choses surnaturelles frappent peu, à moins qu’elles ne soient d’hier, C’est donc l’histoire d’hier que je vais vous raconter maintenant à vous et à cette douce fleur de santé que je voudrais sauver au péril de ma vie. Après avoir erré six mois dans la campagne turque et parcouru une partie de la Serbie, notre tribu revint vers Belgrade et campa encore une fois sur les bords du Danube, au-dessous de Semendria. Celui de nos frères qui veillait aperçut au milieu de la nuit deux lumières qui descendaient lentement le fleuve en rasant la rive. Il s’approcha : c’étaient deux sacs de cuir, un petit et un grand, qui suivaient le courant, portant chacun une lampe et un écriteau : Allah voit tout. Justice du Cadi sous le regard du prophète.
 
« L’écriteau du grand sac avait en outre ce nom : Jean Ténèbre ; celui du petit cet autre nom : Ange Ténèbre.
 
« Ces deux cadavres flottaient parce qu’on avait pillé trois jours auparavant la trésorerie de Belgrade et que la fille de l’uléma trésorier avait été trouvée morte dans son lit, blanche comme une statue d’albâtre.
 
« Nous apprîmes le vol et le meurtre plus tard. Mais comme notre sentinelle venait de nous éveiller, nous vîmes une longue barque noire qui courait toute seule au fil de l’eau : il n’y avait personne pour la manœuvrer. Elle atteignit les deux lumières qui moururent, et, l’instant d’après, la barque noire remontait le courant, plus rapide qu’un oiseau, et manœuvrée par deux hommes, un grand et un petit.
 
« Nous arrivâmes le surlendemain, et c’était au commencement de la semaine qui s’achève aujourd’hui, aux portes de là ville de Peterwardein, en Esclavonie…
 
– Peterwardein ! Où est ma chère Efflam, père !… s’écria Lénor en tendant son front au baiser du prince.
 
« Mikaël fit comme s’il n’eût point entendu.
 
« – C’était le matin, continua-t-il. Nous plantâmes nos tentes à l’endroit qui est réservé pour nos tribus, sous les remparts de la ville, entre le cimetière et le noir fossé baigné par la Drave, où l’on jette pêle-mêle les animaux morts et les suppliciés. Nous pensâmes qu’il y avait une fête dans la ville, car une nombreuse affluence de paysans se pressait aux portes. On nous permit d’entrer ; la fête était une exécution à mort par le glaive. Sur l’échafaud, nous vîmes deux condamnés, un grand et un petit. Et deux noms étaient dans toutes les bouches : les frères Ténèbre ! Hospodar, les têtes tombèrent : je les vis de mes yeux…
 
« – Les têtes tombèrent, répéta Solim, et les têtes roulèrent sur le plancher de l’échafaud.
 
« – Et nous revînmes au campement, reprit Mikaël, derrière la charrette qui emportait la besogne faite du bourreau. Les deux têtes et les deux corps furent jetés dans le fossé, devant nous, tandis que, de l’autre côté de nos tentes, on emportait au cimetière une pauvre enfant de quinze ans…
 
« – Son nom ! le nom de la morte ! demanda Lénor, étonnée elle-même de cette curiosité, qui la prenait.
 
« – Efflam… répondit Mikaël de sa voix retentissante.
 
« Solim, les yeux baissés, répéta de sa douce voix :
 
« – Efflam !
 
« Mais Lénor ne l’entendit pas. Au nom d’Efflam pour la première fois prononcé elle avait porté ses deux mains à son cœur et s’était affaissée privée de sentiment, entre les bras de son père… »
 
Ici, M. le baron d’Altenheimer fit une pose et monsignor Bénédict en profita pour dire d’une voix que chacun remarqua, tant elle était musicale et suave :
 
– J’admire la mémoire de M. le conseiller privé, mon très cher frère. Pendant qu’il parlait, il me semblait entendre ce scélérat de chevalier Ténèbre raconter son histoire ; car personne ici n’a été sans deviner Mikaël le prétendu Tzigane, Zeguem ou Szégan, comme on dit en différents dialectes, Mikaël, le Rôme, le Rômi ou le Roumini, n’était autre que l’aîné des frères Ténèbres : LE CHEVALIER.
 
– Et le blond Solim était « le petit ? » demanda le respecté maître de la maison.
 
– Oui, répondit monsignor Bénédict en souriant le plus agréablement du monde. Votre Grandeur a parfaitement deviné, c’était « le petit » : le cadet, le recteur Ténèbre, ou le pasteur, ou le docteur, selon l’inscription mutilée qui est sur la seconde pierre tombale, en la plaine du Grand-Waraden.